Chroniques sur les Pixies : Doolittle
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Je n'irai pas par quatre chemins: tout le monde devrait les aimer. Les
amateurs de MC5 ou Plasmatics comme ceux plus friands des B 52's ou de Peter,
Paul, And Mary, mais également tous les autres. Parce que Black
Francis, songwriter de génie, est un joueur subversif qui transcende
Iggy Pop, David Thomas (Père Ubu), Lou Reed and many more en les faisant
entrer en collision. Si les Pixies étaient un groupe comme les autres,
ce troisième album (deuxième et demi, en fait) serait celui de
la maturité. Mais les Pixies ne ressemblent ê rien ni a personne.
Ils s'amusent comme des petits diables, mariant tout dans une mixture
hautement addictive: le solide et le fluide, l'émerveillement et la
terreur, Tom&Jerry et le Yeti. Avec un son de guitare inédit,
mélange subtil de larsen et de feedback, et la magie des miroirs
déformants comme griffes personnelles. Aux manettes, Gil Norton a
succedé à Steve Albini (déjanté hardcore notoire)
et, comme l'illustre "Debaser" d'entrée de jeu, le son s'en retrouve
du coup plus offensif et compact (pas seulement agressif) que sur le
précédent "Surfer Rosa", chef-d'oeuvre de brutalité et
de béatitude squattant le Top 10 indie depuis plus d'un an.
Côté lyrics, on peut penser que Black Francis partage l'opinion
de Mao qui disait qu'une image vaut bien dix mille mots tant "This Monkey
Gone To Heaven", "I Bleed", "Wave Of Mutilation" et les autres projettent des
visions qui adhèrent sérieusement au subconscient. Dans un
monde parfait, "Here Comes Your Man" (écrit à l'age de quinze
ans, dixit son auteur), romance californienne assaisonnée à la
guitare Shadows-isante, serait le tube de l'été trois
années de suite. Dans un monde parfait, l'arsenic de "Dead",
l'hystérie orgasmique de "Tame" ou la tristesse abyssale de "Hey"
inonderaient la planète de leur beauté dangereuse. Dans un
monde parfait, on saurait que les Pixies sont les meilleurs. Un groupe au
dessus du rock et de ses cloisonnements poussiereux. Pour preuve, ces quinze
titres extraordinaires passés au scanner sexuel.
J.G.
"Doolittle" ou l'album alternatif imparable par excellence,
réussite majeure en 15 titres, 15 tubes, d'un groupe qui avait tout
pour devenir énorme. "Doolittle", le disque crossover idéal de
toute la famille rock, capable de réconcilier à lui seul les
parents quadra en pleine crise de nostalgie surf musique, le grand
frère pop anglaise, sa copine girl-just-want-to-have-fun et le petit
dernier teigneux, amateur de hardcore surpuissant. A la fin des
années 80, la folie Pixies s'est répandue comme une
trainée de poudre. "Surfer Rosa", premier opus sorti de nulle part,
avait suffi à les mettre sur orbite college radio, ce deuxième
les enverra directement marcher sur la lune. Ces quatres bostoniens,
menés à la baguette par leur leader bibendum Black Francis, pas
démocrate pour deux sous, térrassèrent le monde en un
rien de temps. Et pour cause: on n'avait pas entendu un tel sens de
l'évidence mélodique depuis les Beach Boys débutants.
Avec les Pixies tout est simple, clair comme de l'eau de roche. Des chansons
idiotes racontent des histoires abracadabrantes de science-fiction 50's,
trous dans le ciel et numérologie mystique, refrains épatants
que l'on sifflote en voiture, sourire aux lèvres et autoradio à
fond pour mieux profiter des accélérations terrassantes qui
secouent sans crier gare le corps de ces pièces d'orfèvrerie
musicale. De la power pop pied au plancher et totalement
décomplexée qui se fout bien de savoir où elle va tant
qu'elle prend son pied. Black Francis hurle dans son micro, hystérique
mais jamais hargneux, la guitare amphétaminée et cristalline de
Joey Santiago décolle au moindre riff et la basse chaloupée de
Kim Deal, encore aux ordres de son tyrannique mentor, enveloppe le tout. Des
hymnes simples et efficaces de deux minutes trente pas plus, dont la parfaite
expression est certainement ce "Monkey Gone To Heaven" qui fit fortune. Avec
de pareils titres, les Pixies pouvaient tout espérer, les stades,
l'argent et la crédibilité rock en sus. Pourtant rien de ceci
n'arriva. A force de mauvaise grâce et d'obsession dictatoriale,
l'egomaniaque talentueux mais trop prétentieux Black Francis finit par
emmerder tout le monde, a commencé par son groupe lui-même qui
perdit au passage insouciance et légèreté. "Bossanova"
l'album suivant, porteur de tous les espoirs, n'aura déjà plus
la grâce, et la fusée Pixies explosera en plein vol apres un
dernier "Trompe Le Monde".
A.B.
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Christophe Gourraud
Dernière mise à jour le 21 janvier 1998