Pixies

Articles sur les Pixies: Face de Lune


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FACE DE LUNE
Interview de Black Francis par Emmanuelle Debaussart
Best #297, avril 1993
Saisi par J.M. Biel pour Alec Eiffel

Black Francis

Le leader incontesté des Pixies se lançant en solo, c'était la révolution dans le petit monde du rock nouveau. Voici en une leçon la bonne approche pour qu'on lui pardonne cet écart de conduite !

Certains retournent leur veste. D'autres, pour faire peau neuve, se contentent de retourner leur nom. "'Black', ça n'a jamais sonné comme un prénom et bizarrement ça perturbait les gens, alors je simplifie, je remets les choses dans l'ordre."

Black Francis est mort. Vive Frank Black. Débarassé de la structure et donc des concessions, l'ex Pixies semble ne plus aspirer qu'à un seul but : n'en faire qu'à sa tête.

"Arrêter les Pixies, sortir un album solo, rien n'était planifié ou calculé. Tout appartenait au domaine des éventualités. Aujourd'hui. Demain. Je ne sais pas. Mais je finirai par partir. Parfois tu y penses. Parfois tu le laisses sous-entendre. Et là ton entourage pousse des hauts cris. Après cinq disques, j'ai considéré que ça suffisait. Il commençait à y avoir quelque chose de trop 'prévisible'. Quoi qu'on fasse je savais qu'à chaque concert on continuerait à nous réclamer 'Monkey Gone to Heaven'. Solo ou groupe, finalement, c'est juste une question de nom que tu colles sur une pochette. Plus que tout, ce qui m'intéressait, c'était la manière de travailler, n'avoir de comptes à rendre à personne. J'ai eu envie de faire le menage. Je voulais retrouver les sensations initiales, voir les choses avec un regard neuf. Bien sûr je retrouve des journalistes à qui j'ai dejà parlé, j'utilise mes connexions pour aider monsieur Frank Black à émerger, mais malgré tout j'aime fantasmer que je débute !"

On aimerait le croire aussi. Mais difficile, dans un premier temps du moins, de fairetable rase du passé. Difficile d'oublier Black Francis et ses Lutins pour goûter cet opus solo d'une oreille vierge. Il est moins question de nostalgie que de comparaisons inconscientes, d'évaluation basée sur la valeur étalon Pixies. Sans être soudain devenus tout à fait limpides, les lyrics se sont faits un peu moins abstraits. Forme et fonds débridés, décomplexés. Musicalement Frank Black se livre avec une bonhomie jubilatoire tout en jouant constamment sur les allusions et les sous-entendus, à la fois badin et cachottier, insatiable. Dualités et boulimie qui débouchent bien évidemment sur un disque hétéroclite, changeant d'atmosphère ou de style d'un morceau à l'autre. Il y a ceux que l'on rattache aux Pixies ("Ten Percenter", "Adda Lee") comme ceux que l'on attribue à feu Black Francis pour des influences déjà citées par le passé ("Brackish Boy", "I Heard Ramona Sing", ...) et d'autres , surprenants, avec un grain de voix jusqu'alors insoupç,onné, qui attestent indéniablement de la réalité de ce nouveau monsieur Black, génie schizophrène ("Two Spaces", "Parry the Wind High"). Preuve de son désir d'éclatement, il a essayé deux batteurs différents, trois guitaristes, dont Joey Santiago (pourquoi lui et pas les autres ? "Parce que ce serait devenu à nouveau un disque des Pixies !"), fait appel à They Might Be Giants ("J'étais un fan avant tout. Admirer des gens et te retrouver dans une situation où tu peux les inviter à jouer sur ton propre disque donne une intéressante combinaison d'émotions"), et tout produit tout seul, ou presque. "C'était un espéce de pari. Il fallait que j'impressionne la maison de disques, les chroniques, le public... pas facile ! Mais drôle. Parce que nouveau. Et j'y ai pris énormément de plaisir."

Pari tenu, très certainement, à condition de bien vouloir faire abstraction du C.V. de ce soit-disant voyageur sans bagages. Première étape, donc, vers une écoute objective : se convaincre de la réalité du split...

C'est vraiment définitif ? Dans un magazine anglais ils laissaient entendre que ce n'était peut-être qu'une pause...

Bien sûr il faut toujours qu'ils trouvent quelque chose à imprimer. Les journaux ont toujours fonctionné comme ça. Mais ce n'est pas ce qui me dérange le plus. C'est dur de s'attabler avec quelqu'un, de faire de ton mieux pour répondre à des questions que tu as entendu mille fois, et ensuite, en lisant l'article de constater qu'on t'a poignardé dans le dos. Tant que ç,a concerne le rock ce n'est pas important. Ce qui me gêne c'est la façon qu'ont certains désormais de s'en prendre à moi sur un plan personnel. Un jour on fait de toi une figure mythique et le lendemain on te traite de gros lard. Quand on prétend parler d'art, le minimum c'est de traiter les gens avec un peu de respect. Je n'en demande pas beaucoup, je veux juste ne pas avoir l'impression d'être de retour à l'école. Pas pour le fait que ma musique soit jugée ou notée, mais pour cette cruauté particulière que les gosses pratiquent entre eux. Les journalistes ont parfois des propos aussi gratuitement blessants que les gamins dans les cours de récré. Ca ne sert à rien de s'attaquer aux personnes là où il ne devrait être question que de musique, de ce vieux montre mort que l'on appelle rock et que tout le monde s'acharne à faire revivre.

Tous égo Et toi, tu as un rôle dans cette opération de réanimation ?

"De moins en moins. Je suis de plus en plus convaincu que le rock n'est juste qu'un sous-groupe qui s'inscrit dans l'ensemble des musiques enregistrées. Et il me semble plus acceptable désormais de raisonner par rapport à cet ensemble."

Si tu avais suivi ton idée originale qui était de faire un album de reprises, tu aurais pioché dans cet ensemble ?

"Plutôt dans le sous-ensemble. Les Kinks, Jimi Hendrix, Husker Du... Mais tu peux refaire la liste tous les jours. Il y a tellement de bonnes chansons, et tellement de mauvaises qui quelque part dégagent quand même un truc intéressant !"

Pourquoi avoir gardé celle des Beach Boys ?

"C'était la meilleure de la liste, la plus intéressante, la plus représentative d'un certain style. Et puis, vu le contexte, il y avait l'humour du titre. Tu splittes ton groupe, tu fais un album solo, et tu reprends 'Hang on to your Ego" ! On peut difficilement rêver meilleure opportunité ! Encore que l'ironie de la coincidence ne me soit apparue qu'après coup."

Pourtant, de cet "égo" on en a déjà beaucoup parlé...

J'ai toujours aimé faire des disques tout seul. Même avec un groupe, il faut qu'à un moment je me retrouve seul dans le studio. Je me débrouille pour envoyer tout le monde boire un café et je retravaille avec l'ingénieur. Certains appellent ça 'égo'. Pas moi. Est-ce qu'un metteur en scène accepte facilement d'en avoir trois autres sur le dos ? Non ! Même les ingénieurs du son ne peuvent pas supporter les groupes "démocratiques" où chacun veut prendre la parole, juste pour dire en fin de compte que son instrument n'est pas mixé assez en avant."

Pour toi, en musique, démocratie est synonyme d'anarchie...

Il y a sûrement des combines heureuses et des gens qui savent s'y prendre. Mais les clichés dominent en règle générale. A quoi pense un bassiste dans le groupe à part se demander si la basse s'entend assez ? Et ça, ça n'arrive pas quand tu es tout seul. Tu n'as pas à t'inquiéter non plus pour ce que tu as envie de rajouter. Penser 'il va falloir qu'on tourne, donc mieux vaut éviter de mettre du saxo sur cette chanson, parce qu'à tous les coups on va nous la réclamer en concert et qu'il faudra amener quelqu'un en plus ou trouver une autre façon de la jouer...'. Là, j'ai enfin pu faire un disque, en ne pensant à rien d'autre qu'au résultat enregistré."

Comment imagines-tu la suite ?

Je ne sais encore ni quand ni avec qui, mais j'aimerais faire de la scène. Pour le moment j'essaie d'abord d'établir le nom, ensuite on verra. Je voudrais refaire un disque mais, en fonction des réactions, il va peut-être d'avérer qu'un seul suffit ! C'est un hobby vital. Mais un hobby tout de même. Et si je devais arrêter demain de jouer de la guitare, j'aurais plein d'autres trucs à faire."


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Dernière mise à jour le 13 janvier 1998